Quantic Dream : le pari PS3, partie 2
Suite et fin de l'interview de Guillaume de Fondaumière, directeur général du studio. Perspectives sur le futur du marché console, la Wii comme formidable objet d'initiation au jeu vidéo, et une bonne nouvelle : le retour du contenu original comme valeur recherchée.
[Note : cliquez ici pour lire la première partie de l'interview.]
Durant la table ronde de la Villette Numérique, l'année dernière, je me souviens avoir entendu David Cage dire qu'il rêvait d'un futur où il n'existerait plus qu'une seule console. C'est comme si l'on demandait aux cinéastes de tourner avec trois caméras différentes et d'utiliser trois projecteurs différents, expliquait-il.
En tant que développeur, ça explique peut-être aussi notre choix entre un fabricant, avec une console bien déterminée, et un éditeur généraliste qui nous aurait forcément demandé de développer plutôt sur PS3, Xbox 360 et PC. Pour nous, c'est vrai que c'est beaucoup plus simple, ça nous permet de concentrer tous nos efforts sur une technologie, sur une console bien donnée. D’ailleurs, je pense que le marché est en train de se transformer profondément. On va de plus en plus voir des types de jeux émerger sur des consoles bien précises. Je ne suis pas sûr qu'à l'avenir on continue à avoir du multiplateforme. Tout le monde ne parle que de ça aujourd'hui parce que les deux principales consoles que l'on attendait, c'est-à-dire la Xbox 360 et la PS3, mettent du temps avant d'avoir une base installée suffisante. En plus, il y a la Wii qui vient un peu brouiller les cartes. Donc tout le monde patauge un peu dans la semoule et tout le monde se dit, vu les coûts de développement, il faut qu'on développe sur les trois plateformes. Maintenant, on va voir des choses se dessiner autrement d'ici deux ans.
C'est-à-dire ? Va-t-on assister à l'émergence de consoles pour certains types de jeux ou, plutôt, pour certains types de joueurs ?
Oui car ce sont des machines fondamentalement différentes. Je pense qu'il est très difficile de réussir à tout faire lorsque l'on est un constructeur de console aujourd'hui. La Wii le démontre d'ailleurs parfaitement : Nintendo a fait un certain nombre de choix, ils sont allés vers une console très familiale, où l'on partage un moment de convivialité et qui offre vraiment une interaction physique avec un pad très différente de ce que l'on avait l'habitude de voir. C'est leur orientation. Maintenant est-ce qu'on peut faire tous les jeux sur une Wii ? Non. Est-ce que ça vaut vraiment le coup de faire un shoot'em up sur Wii par exemple ? Non, probablement pas. Les gens qui jouent principalement à des shoot'em up, pour prendre cet exemple, ne vont évidemment pas acheter une Wii. Ils s'orienteront peut-être plus vers une Xbox 360 en ce moment, surtout s'ils jouent en réseau.
On a tout de même l'impression que Microsoft et Sony, via la Xbox 360 et la Playstation 3 respectivement, visent le même public.
Je ne pense pas. Quelque part, j'ai l'impression que l'on retrouve entre la Xbox 360 et la Playstation 3 la même différence qui existait déjà entre la Xbox et la Playstation 2. Je pense que, fondamentalement, ces consoles s'adressent à des publics différents. La Xbox 360 est plus orientée hardcore gamer et de plus en plus jeu réseau, alors que la PS3 est plus versatile, avec aussi des jeux gamer, bien évidemment, mais aussi des jeux d'aventure, des RPG, de la course automobile, et un grand nombre d’autres divertissements, de Buzz au futur Playstation Home. En bref : plus généraliste et plus grand public. Maintenant, forcément, Microsoft essaie d'imposer sa console le plus largement possible et les gens de Sony essaient de faire tout ce qu'ils peuvent pour que Microsoft ait la part la plus petite du gâteau. Ceux qui ont vraiment été très malins, c'est Nintendo. Ils savaient qu'ils ne pouvaient pas se battre à armes égales avec Sony d'un côté et Microsoft de l'autre, ils voyaient bien qu'ils allaient se retrouver en sandwich et ils ont proposé autre chose. Et visiblement, ils ont trouvé leur public avec cet autre chose, et je trouve ça génial parce qu'ils agrandissent le marché.
On sent pourtant une peur de certains de ces gamers, lesquels voient en la Wii un danger pour le jeu vidéo "classique", supplanté à terme par des titres hyper-familiaux tels que Cooking Mama ou Big Brain Academy. Est-ce que cela qui vous inquiète ?
Au contraire, je pense que la Wii est une formidable machine pour rentrer dans les foyers où le jeu vidéo n'avait pas l'habitude d'être et je pense que c'est un formidable d'outil d'initiation au jeu vidéo.
De Wii Sports, vous voyez ces nouveaux joueurs passer à Fahrenheit ?
Oui, bien sûr. Je pense que la Wii donne envie d'aller voir plus loin. C'est une console qui attire un nouveau public parce qu'elle fait moins peur. Elle est plus conviviale, elle a un côté plus sympa, c'est l'iPod du jeu ! Une fois que les gens y prennent goût, qu'ils se rendent compte que les jeux vidéo ne sont pas tout à fait ce qu'ils imaginaient, qu'il y a un vrai intérêt, que l'on peut y découvrir des univers… Tout le monde n'aura pas ce désir mais un certain nombre de ces joueurs se demandera ce que le médium a d'autre à offrir.
Si Microsoft vous offrait 50 millions de dollars pour porter Heavy Rain sur Xbox 360, comme ça avait été le cas avec Take Two pour le contenu exclusif de Grand Theft Auto IV, vous considéreriez l'offre ?
Ce n'est pas comme ça qu'on a l'habitude de travailler ou de fonctionner. Pour chaque projet, il y a des attirances mutuelles. Développeur de jeu vidéo, c'est un métier complexe, de plus en plus complexe. Il faut réussir ce partenariat sur la durée, tout au long du développement, ensuite pendant la phase d'édition, et enfin à la sortie du projet. Quand on commence à travailler ensemble, parfois ça marche très bien, on a envie de continuer, bref c'est un vrai partenariat. L'argent est évidemment important. Maintenant, on n'a pas besoin de 50 millions de dollars pour notre prochain projet. On a un budget qui est important, qui nous permet de réaliser nos ambitions. Mais au-delà de l'argent, il y a entre nous et Sony un vrai lien, et c'est ce qui nous a fait choisir Sony par rapport à d'autres partenaires potentiels.
Quel genre de lien ?
On partage la même vision. Notre décision a été prise le jour où on s'est retrouvé dans une pièce avec Phil Harrison ainsi que d'autres responsables Sony. On leur avait déjà présenté le projet et ils nous ont dit comment eux voyaient celui-ci, et c'était en parfaite adéquation avec ce qu'on leur avait présenté, les idées qu'on avait, et on a dit banco tout de suite.
Jack Tretton, le PDG de Sony USA, a récemment déclaré que la société ne voulait pas "soudoyer" les développeurs pour obtenir des exclusivités, une pique évidente envoyée à l'égard de Microsoft. C'est un point de vue que vous partagez ?
Je pense qu'il y a une vraie bataille, il ne faut pas se leurrer, et il y a forcément une concurrence. Mais c'est une saine concurrence, une concurrence intéressante pour les développeurs. Ce que cela met en exergue, c'est que le contenu est redevenu important dans cette industrie. Il y a eu un moment où on a eu l'impression qu'il suffisait d'aller prendre une licence à Hollywood et d'en faire n'importe quoi pour gagner des parts de marché et exister dans le secteur du jeu vidéo. Ce n'est plus le cas ou, en tout cas, on s'est rendu compte que c'était un peu plus compliqué que cela.
Certains continuent avec succès, semble-t-il.
Oui, tout à fait, mais je pense qu'il y a aujourd'hui un certain nombre de grands éditeurs qui se disent que le succès se construit dans la durée, qu'il faut du contenu original et novateur. Et c'est pour ça aussi que l'on voit les grands fabricants de consoles, qui sont un peu les grands donneurs d'ordres de notre industrie, essayer de récupérer en exclusivité du contenu à très forte valeur ajoutée. C'est normal et je pense que c'est plutôt une bonne chose. Maintenant, est-ce qu'on peut vraiment soudoyer ? Je ne sais pas… Je pense en tout cas qu'il faut cette adéquation forte entre un éditeur et un développeur ou entre un éditeur et un constructeur, il faut une adéquation très forte pour pouvoir durer sur le long terme.
En somme, on n'achète pas une exclusivité comme on achète un produit.
Non. Je pense qu'acheter, ça peut durer un certain temps. Mais est-ce qu'on peut véritablement construire une stratégie ou imposer une typologie de jeux sur une console alors que manifestement ce titre n'a rien à faire sur cette console ? C'est un peu ça toutes les questions auxquels les éditeurs et les constructeurs doivent être confrontés aujourd'hui. Mais il s’agit du secteur du jeu vidéo tout de même, il y a donc aussi un certain nombre de paris à faire.
En parlant d'acheter, de plus de plus de studios sont absorbés, soit par des éditeurs, soit par des constructeurs. Comptez-vous garder votre statut indépendant ?
Aujourd'hui, nous sommes très contents d'être indépendants et on a toujours réussi à travailler sur des concepts originaux développés en interne dont nous avons su garder la propriété intellectuelle. Pour l'instant, on n'a pas véritablement ressenti le besoin d'être racheté ou la nécessité de rejoindre de manière définitive tel éditeur ou tel constructeur. Maintenant, on étudiera toute proposition au cas par cas. En tous cas, aujourd'hui, pour nous, indépendant, ça veut dire être capable de pouvoir produire les jeux qu'on souhaite et tant qu'on peut continuer à le faire, il n'y a pas de nécessité impérieuse de vendre notre société pour continuer à exister. A partir du moment où on est filiale d'un grand groupe, on a bien évidemment moins de marge de manœuvre, on est plus sous le joug de telle ou telle influence. Tout cela, ce sont des choix et un équilibre à trouver. L'indépendance, c'est un risque. Il y a plus de sécurité à être filiale d'un grand groupe mais par contre il y a moins d'indépendance. Il y a des moments pour tout. Il y a un moment où il faut rester indépendant, et il y a un moment où il faut savoir "se ranger" ou faire les choses différemment. Mais pour l'instant, on n'en est pas là, et on est très content d'être indépendant, et d'avoir réussi à assigner un acteur de référence à une très belle production.
Qui n'est donc pas forcément Heavy Rain.
Qui n'est pas forcément Heavy Rain.
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Part 1
Autor: Eric Simonovici
Source: Overgame.com
Language: French
Labels: Guillaume de Fondaumiere, Interview French, Overgame.com
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